
grosPLANquatre: Coup de Projecteur sur une Activiste
Entretien avec Nyokabi Njogu

Biographie
Nyokabi Njogu est Conseillère juridique au Kenya Legal and Ethical Issues Network on HIV and AIDS (KELIN) et Avocate à la Haute Cour du Kenya. Elle est titulaire d’une licence en droit de l’Université catholique d’Afrique de l’Est (Nairobi), d’un master en droits de l’homme de l’Université d’Europe centrale (Budapest), d’un master en gestion des ressources humaines de l’Université Daystar (Nairobi) et d’un diplôme de troisième cycle en droit de la Kenya School of Law. Forte de plus de 14 ans de pratique juridique et de deux décennies d’expérience dans le domaine des droits de l’homme, elle a auparavant été chercheuse juridique au sein du système judiciaire kenyan, chargée de cours à la Kenya School of Law et avocate en cabinet privé. Responsable des litiges stratégiques au KELIN, elle est spécialisée dans les litiges féministes, les droits à la santé et la justice sociale, s’appuyant sur le droit pour lutter contre les inégalités systémiques. Avocate engagée et ancienne membre du Réseau de litiges féministes (FLN), elle demande à l’État de rendre des comptes pour la réalisation des droits des femmes. Ses contributions aux litiges féministes et aux droits humains lui ont valu une reconnaissance, notamment le prix de l’avocate de l’année décerné par la CSO et son inclusion dans la liste des 80 meilleures femmes en droit des Nairobi Legal Awards, soulignant ainsi son impact sur la justice pour les communautés marginalisées.
Bonjour Nyokabi, comment allez-vous? Parlez-nous de vous.
Bien, Vous connaissez mon nom. Je travaille chez KELIN en tant que responsable du contentieux stratégique depuis près de cinq ans. Je suis défenseur des droits humains et j’exerce le droit depuis 14 ans, même si mon engagement dans le domaine des droits humains s’étend en réalité sur 20 ans. Mon parcours a débuté à la faculté de droit, en deuxième année, lorsque j’ai obtenu mon premier emploi d’assistante de recherche. Ce rôle a jeté les bases de mon travail actuel, façonnant ma compréhension des droits humains et de la justice.
J’ai effectué mon premier stage auprès du juge Kibaya Laibuta, aujourd’hui juge d’appel. Parallèlement, j’ai collaboré avec la Commission kenyane des droits humains (KHRC) sur son rapport biennal sur les droits humains, où j’ai mené des recherches sur le terrain et des entretiens avec diverses organisations. Ce rôle m’a permis de mieux comprendre les réalités du travail en faveur des droits humains et d’en comprendre l’importance cruciale.
J’aime à considérer ma carrière comme un pont entre le droit et le militantisme, notamment dans le domaine du contentieux stratégique féministe. Au fil des ans, j’ai travaillé sur des dossiers portant sur les inégalités structurelles, notamment en matière de droits à la santé, de droits fonciers et de propriété, et d’accès à la justice pour les groupes marginalisés, notamment les femmes.
En repensant à votre expérience au sein du Réseau de litiges féministes, comment cette expérience a-t-elle façonné votre approche du litige stratégique féministe?
TLe Réseau de Litige Féministe (FLN) a considérablement affiné ma compréhension des failles systémiques du droit et de son application. Il m’a permis de voir, encore plus clairement, comment le droit peut être à la fois un outil de justice et d’oppression. L’un de mes principaux apprentissages a été de reconnaître comment les lois sur la diffamation ont été instrumentalisées contre les femmes qui dénoncent leurs expériences.
Le parcours du FLN m’a permis d’envisager différentes significations de la justice, au-delà de ce que prescrit le texte juridique. Il m’a appris à aborder le droit de manière critique et à identifier les lacunes qui existent pour les femmes en quête de justice. Le cours de méthodes juridiques féministes que nous avons suivi a été particulièrement éclairant, renforçant l’idée que le droit n’est pas neutre et qu’il renforce souvent les inégalités existantes. Nous utilisons un outil intrinsèquement violent pour remédier aux violences faites aux femmes, ce qui est à la fois ironique et frustrant.
Au-delà de l’enrichissement intellectuel, le FLN m’a offert un réseau d’avocats partageant les mêmes idées, auxquels je peux faire appel pour discuter des affaires, affiner mes arguments juridiques et m’apporter un soutien mutuel. L’éthique du soin que j’ai apprise au FLN a également transformé ma façon d’aborder mon travail, en laissant une place à l’auto-soin et à la responsabilité communautaire. Au-delà de cela, je pense que le réseau lui-même a été un outil précieux pour moi, tant sur le plan professionnel que personnel. Je n’y ai intégré qu’une seule personne, un ami d’école, mais au fil du temps, j’ai développé un solide réseau de soutien. Avoir ce réseau de personnes sur lesquelles je peux m’appuyer pour réfléchir à des dossiers m’a été extrêmement utile. Ces trois années passées ensemble ont consolidé nos amitiés et nos relations professionnelles, à tel point que nous nous appelons désormais mutuellement pour nous soutenir, que ce soit pour discuter d’un dossier ou pour solliciter l’expertise de quelqu’un.
Vous avez mené une longue carrière, mêlant recherche sur les droits humains, enseignement et pratique juridique. Qu’est-ce qui a motivé votre orientation vers le contentieux féministe, et comment le droit de mouvement a-t-il influencé votre travail visant à responsabiliser l’État en matière de droits des femmes?
Ce changement était à la fois personnel et professionnel. Personnellement, j’ai grandi avec une conscience aiguë des disparités entre les sexes. Dès mon enfance, je savais que mes proches et moi n’étions pas traités de la même manière, et j’étais profondément indignée par la façon dont la société traite les femmes.
Je n’aime pas non plus qu’on me dise quoi faire, ce qui a alimenté ma résistance aux systèmes qui dictent aux femmes comment elles doivent se comporter, ce à quoi elles doivent aspirer et ce qu’elles doivent accepter comme leur destin. Le contentieux féministe m’a donné les outils pour remettre en question ces normes et structures juridiques profondément ancrées qui perpétuent les inégalités.
Le droit de mouvement a renforcé ma conviction que les avocats ne devraient pas se considérer comme les seuls experts en matière de justice. Ce sont les communautés avec lesquelles nous travaillons qui devraient montrer la voie pour définir ce qu’est la justice. Mon rôle est d’utiliser la loi de manière stratégique pour servir leurs visions de la justice plutôt que de leur imposer mes propres interprétations juridiques.
Je n’aime pas non plus qu’on me dise quoi faire, ce qui a alimenté ma résistance aux systèmes qui dictent aux femmes comment elles doivent se comporter
En tant que conseillère juridique chez KELIN, vous participez à des litiges stratégiques pour impulser des changements sociaux et politiques. Pouvez-vous partager une affaire ou un moment qui a réaffirmé votre conviction que le droit est un outil de justice, notamment pour les droits fonciers et de propriété des femmes?
L’une des affaires les plus marquantes sur lesquelles j’ai travaillé concernait une jeune femme (LAW). Adolescente, elle s’était mariée à 14 ans, extrêmement pauvre, avait contracté le VIH et avait été stérilisée à son insu. Son histoire était marquée par une aggravation de la discrimination fondée sur le sexe, de son état de santé et de son milieu économique, chaque élément se renforçant mutuellement.
Ce qui m’a frappée, c’est son jeune âge lorsque toutes ces violations ont eu lieu. Je me souviens l’avoir rencontrée et avoir pensé qu’à son âge, je me sentais encore comme une enfant, alors qu’elle avait déjà tant enduré. Son affaire a mis en lumière les défaillances systémiques, de l’accès aux soins de santé aux droits de propriété, qui nuisent de manière disproportionnée aux femmes.
Une autre affaire profondément marquante a été notre litige concernant les ruptures de stock d’ARV (antirétroviraux). Cela a renforcé ma conviction d’utiliser le droit de manière stratégique, surtout après avoir entendu les témoignages de femmes contraintes d’arrêter d’allaiter faute d’accès aux médicaments. Dès qu’une mère s’est présentée au tribunal et a déclaré : “ Au moins, le juge m’a entendue “, j’ai compris que même en cas de perte, le contentieux peut être un outil de dignité et de visibilité.
Dès qu’une mère s’est présentée au tribunal et a déclaré : “Au moins, le juge m’a entendue “, j’ai compris que même en cas de perte, le contentieux peut être un outil de dignité et de visibilité.
Remporter le prix de l’avocate de l’année des OSC décerné par les Nairobi Legal Awards est une étape importante. Que signifie cette reconnaissance pour vous et comment la voyez-vous contribuer à votre plaidoyer en faveur des litiges féministes et des droits humains?
Honnêtement, ce fut une surprise ! Lorsqu’on est plongée dans son travail, on ne se rend pas toujours compte que les gens nous observent et apprécient ce que l’on fait.
Pour moi, ce prix n’était pas seulement une reconnaissance personnelle : c’était une réaffirmation de l’importance de notre travail. Il m’a rappelé que nos stratégies de contentieux, nos efforts de plaidoyer et notre engagement en faveur de la justice féministe font la différence .
Ce prix m’a également encouragée à persévérer, malgré les revers et les frustrations inhérents au travail en faveur des droits humains. Cela nous rappelle que même si l’impact n’est pas immédiatement perceptible, le travail contribue à des changements systémiques plus vastes.
Quel conseil donneriez-vous à la troisième cohorte du FLN qui se lance dans son parcours pour devenir avocate du mouvement?
The FLN Le parcours du FLN est intense et vous poussera à des niveaux inattendus. Il exige de désapprendre, de réapprendre et d’être ouvert à la remise en question de ses préjugés. Mon principal conseil est de rester engagé, même lorsque la situation semble insurmontable. Les connaissances, les compétences et le réseau que vous acquerrez façonneront votre carrière d’une manière dont vous ne vous rendrez peut-être pas compte immédiatement.
Le droit du mouvement ne se limite pas au droit ; il s’agit de travailler avec les communautés, de prendre en compte leurs expériences et de reconnaître que la justice est bien plus qu’une simple décision de justice. Soyez patient avec vous-même, acceptez l’inconfort lié à l’apprentissage de nouvelles perspectives et appuyez-vous sur votre réseau pour obtenir du soutien.
Plus important encore, prenez soin de vous. Ce travail est épuisant et l’épuisement professionnel est réel. L’éthique du soin s’applique non seulement aux clients, mais aussi à nous-mêmes. Soyez indulgent envers vous-même et rappelez-vous que le changement, en particulier le changement juridique féministe, est un combat de longue haleine.
About Us
Founded in 2014, the Initiative for Strategic Litigation in Africa (ISLA) is a Pan-African and feminist initiative with a timely remit: to strengthen strategic human rights litigation across the African continent. Essentially, we aim to change the way that strategic litigation is used so as to enable broader access to justice and to support those who seek to hold states accountable for violations of women’s human rights and sexual rights.
Contact Details
Contact Number:
+27 11 338 9028
Fax: +27 11 338 9029
Address: 87 de Korte Street,
South Point Corner, 7th Floor Braamfontein, 2017 Gauteng, South Africa